L’habillement n’était pas le souci premier des
prisonniers, même si la plupart essayaient de rester civilisé dans leur tenue.
Mon père d’ailleurs était choqué par ces « camarades » qui trainaient en
guenille dans le camp. Pour lui, la propreté corporelle et une tenue décente
étaient les conditions pour rester un homme à part entière quelles que soient
les circonstances. Ma mère, infirmière de formation lui avait bien précisé
qu’en plus de la toilette il devait aussi se laver les pieds tous les jours *,
et en bon mari il se pliait à cette tendre injonction. Pourtant il y eut un
élément perturbateur dans cette histoire de garde-robe du prisonnier, ce furent
les chaussures. A Bissingen il avait des chaussures de taille 46 pour son pied
chaussant du 41, et comme il s’en plaignit, après plusieurs mois seulement il
lui fut attribué une paire de sabots. Lorsqu’il arriva à Giengen, il avait
toujours ses sabots et allait travailler à l’usine tous les jours ainsi
chaussé. Le trajet entre la baraque du kommando et l’usine Ziegler nécessitait
une demi-heure de marche environ. Ce trajet tourna au cauchemar quand il
commença à neiger, des sabots en bois bien lisses sur une neige bien glissante
firent que mon père avait grand mal à se maintenir debout tout au long du trajet,
à tel point qu’il en perdit son self-control devant des jeunes filles qui
riaient de le voir vacillant. Il le raconte dans une lettre : « Mardi 27
Janvier 1942 (…) Je suis en grève aujourd’hui, j’ai refusé d’aller au travail
car je n’ai plus de souliers à me mettre et que je ne peux pas y aller en
sabots dans la neige, j’avais essayé hier mais c’était vraiment impossible et
je risquais à chaque instant de me casser les pieds. (….) Notre gardien est
parti ce matin pour me chercher des chaussures car je lui ai dit ainsi qu’à mon
patron de l’usine et au contremaître que je ne retournerai pas au travail tant
que je n’aurais pas de chaussures à me mettre. Ils ont d’ailleurs trouvé cela
tout naturel, car après tout, je suis volontaire pour le travail mais pas volontaire
pour laisser ma peau ou ma santé en Allemagne (…) Hier, comme je passais dans
la neige avec mes sabots, les civils riaient et plaisantaient – En d’autres
temps cela m’aurait semblé normal et j’aurais ri moi-même de ma situation
plutôt comique mais, vu mon état d’esprit actuel, cela me mettait dans une
espèce de colère intérieure qui a éclaté lorsqu’est passé un groupe de jeunes
filles qui se sont aussi moqué de moi – Je les ai en……guirlandés proprement et
quelques minutes après je regrettais de l’avoir fait car, en y réfléchissant
bien, à leur place j’en aurai fait tout autant. ».
Cette anecdote si cocasse soit-elle à posteriori montre qu’un prisonnier ne vivant pas une vie normale ne pouvait avoir des comportements normaux. Le fait que mon père perde son sang-froid à la vue de ces jeunes filles le moquant est un événement hors norme pour lui qui a toujours gardé son self-control en toute occasion, et parfois dans des situations bien plus délicates que celle évoquée ci-dessus. Je n’ai jamais rencontré autre homme capable de garder autant son calme et son esprit clair même dans des situations difficiles ou mouvementées, cette capacité devait être rassurante pour ses camarades de captivité, comme elle l’était pour sa famille et surtout pour nous ses enfants.
* J'ai trouvé une archive audio de la radio de l'armée américaine lors de la guerre du Vietnam qui conseille aux soldats de se laver les pieds tous les jours en faisant attention de bien s'essuyer entre chaque doigt de pieds. Les guerres changent mais les consignes d'hygiène restent.
Cette anecdote si cocasse soit-elle à posteriori montre qu’un prisonnier ne vivant pas une vie normale ne pouvait avoir des comportements normaux. Le fait que mon père perde son sang-froid à la vue de ces jeunes filles le moquant est un événement hors norme pour lui qui a toujours gardé son self-control en toute occasion, et parfois dans des situations bien plus délicates que celle évoquée ci-dessus. Je n’ai jamais rencontré autre homme capable de garder autant son calme et son esprit clair même dans des situations difficiles ou mouvementées, cette capacité devait être rassurante pour ses camarades de captivité, comme elle l’était pour sa famille et surtout pour nous ses enfants.
* J'ai trouvé une archive audio de la radio de l'armée américaine lors de la guerre du Vietnam qui conseille aux soldats de se laver les pieds tous les jours en faisant attention de bien s'essuyer entre chaque doigt de pieds. Les guerres changent mais les consignes d'hygiène restent.
Clothing was not the primary
concern of the prisoners, although most tried to remain civilized in their
clothes. My father was shocked by these "comrades" who were hanging
around in rags in the camp. For him, bodily cleanliness and decent clothing
were the conditions for remaining a full-fledged man under any circumstances.
My mother, a nurse by training, had made it clear to him that in addition to
washing his feet every day *, and as a good husband he complied with this
tender injunction. However, there was a disturbing element in this story of the
prisoner's wardrobe, it was the shoes. In Bissingen he had shoes size 46 (11UK
– 12 US) for his foot size 41 (7UK – 8 US), and as he complained, after only
several months he was given a pair of hooves. When he arrived in Giengen, he
still had his hooves and went to work at the factory every day wearing sabots.
The journey from the kommando barracks to the Ziegler factory took about half
an hour's walk. This journey turned into a nightmare when it started to snow,
smooth wooden hooves on slippery snow made it very difficult for my father to
stand up all the way, so much so that he lost his self-control in front of
young girls who laughed at seeing him flickering. He tells it in a letter: "Tuesday, January 27, 1942 (...) I am
on strike today, I refused to go to work because I no longer have shoes to put
on and I can't go in hooves in the snow, I tried yesterday but it was really
impossible and I risked breaking my feet at every moment. (...) Our guard left
this morning to get me shoes because I told him and my factory boss and foreman
that I would not go back to work until I had shoes to wear. They also found it
natural, because after all, I am volunteering for work but not volunteering to
leave my skin or my health in Germany (...) Yesterday, as I passed through the
snow with my hooves, the civilians laughed and joked - At other times it would
have seemed normal to me and I would have laughed myself at my rather comical
situation but, considering my current state of mind, it put me in a kind of
inner anger that broke out when a group of young girls who also laughed at me
passed by - I waved them into......... garlands cleanly and a few minutes later
I regretted having done it because, if I thought about it well, in their place
I would have done the same”.
This anecdote, however funny
it may be in hindsight, shows that a prisoner not living a normal life could
not have normal behaviour. The fact that my father loses his temper at the
sight of these young girls mocking him is an extraordinary event for him who
has always kept his self-control on all occasions, and sometimes in situations
much more delicate than the one mentioned above. I have never met another man
who was able to keep his calm and clear mind so much, even in difficult or even
turbulent situations, this ability must have been reassuring to his fellow
prisoners, as it was to his family and especially to us his children.
* I found an audio archive of the US Army Radio during the Vietnam War
that advises soldiers to wash their feet every day, making sure to wipe
themselves well between each toes. Wars change but
hygiene instructions remain.
Photo prise quelques jours avant la capture du 8ème RI en 1940
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